Vers une petite
« mondialisation entre amis » ?
Christian Chavagneux et Aude Martin, alternatives-economiques.fr, 5 mai 2022
La mondialisation, c’est d’abord l’organisation de chaînes de production au niveau mondial par les multinationales. Elles décident où est produit quoi et avec quelles conditions de travail. Ces choix sont déjà moins mondiaux depuis 2008 et le seront encore moins demain.
[…] Après la Seconde Guerre mondiale, la mondialisation suit une première phase de développement progressif de la fin des années 1950 aux années 1990. Ensuite, jusqu’en 2007-2008, nous entrons dans une deuxième phase qualifiée par le chercheur américain Dani Rodrik d’« hypermondialisation » avec une explosion des investissements des multinationales à l’étranger et une forte circulation internationale des capitaux.
Depuis la crise financière de 2008, nous sommes entrés dans une troisième phase, durant laquelle la mondialisation économique a atteint un plateau avant de reculer un peu. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) suit régulièrement la participation des firmes aux chaînes de production mondiale et elle parle aujourd’hui de « slowbalisation », de ralentissement. […]
Lorsque les cas de Covid repartent à la hausse à Shanghai et que le grand port commercial chinois se retrouve bloqué, une grande partie de la mondialisation est en panne. Lorsque le conflit en Ukraine prive le monde d’une partie de la production alimentaire et de certains métaux (palladium, rhodium), c’est la même chose. […]
Résultat, des États-Unis à l’Europe, les dirigeants politiques développent de nouvelles politiques industrielles, sur les semi-conducteurs, les batteries électriques, le cloud, etc., afin de gagner en autonomie et moins dépendre du reste du monde. Et sur toutes ces industries stratégiques, les gouvernements mettent désormais plus de barrières à la possibilité pour des investisseurs étrangers d’acheter des entreprises locales. […]
Qui plus est, dans un discours prononcé le 13 avril dernier, Janet Yellen, la secrétaire au Trésor américaine, a avancé un nouveau concept, celui de « la mondialisation entre amis » (friendshoring). […]
Même analyse du côté de l’OMC, pour qui l’un des effets directs de la guerre en Ukraine sera de provoquer « un mouvement vers une mondialisation entre amis dans laquelle des biens stratégiquement importants sont produits nationalement ou proviennent de pays alliés ».
De ce point de vue, « la guerre en Ukraine représente potentiellement un choc plus fort sur la mondialisation que la pandémie », analyse Sébastien Jean, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). À ses yeux, « la guerre va marquer durablement les comportements : le clivage avec la Russie est là pour durer et l’utilisation des sanctions économiques va se renforcer. Cela va accroître la quête d’autosuffisance. C’est le cas en Chine, aux États-Unis, en Europe, où les secteurs considérés comme stratégiques vont être massivement subventionnés pour assurer une production locale ».
À tout cela, on peut ajouter que depuis l’accord passé en 2021 sur la mise en œuvre, prévue pour la fin 2023, d’un taux minimum d’imposition des profits logés à l’étranger par les multinationales, les États ont décidé de retrouver de la souveraineté fiscale.
Bref, pour Larry Fink, le patron de BlackRock, le plus grand fonds d’investissement mondial, après la pandémie, « l’invasion russe de l’Ukraine a mis fin à la mondialisation telle que nous la connaissons depuis trente ans ». […]
Questions
1. Définissez l’expression de « mondialisation entre amis ». En quoi ce phénomène représente-t-il un nouveau paradigme dans l’économie mondiale ?
2. À l’aide de vos connaissances, listez les conséquences économiques possibles de ce phénomène.

SES Terminale
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• Chapitre 2 ("Quels sont les fondements du commerce international et de l'internalisation de la production ?")