« Les vieilles puissances n'ont plus la main sur les affaires du monde »
Entretien avec Bertrand Badie, propos recueillis par Julien Da Sois, Cnews, 26 novembre 2019, disponible ici.
Auteur : Bertrand Badie est professeur spécialiste des relations internationales.
Comment peut-on expliquer la simultanéité des nombreux mouvements de contestation à l’œuvre tout autour de la planète (Hong Kong, Algérie, Irak, Bolivie, Chili…) ?
[...] Nous assistons à une crise de l'hégémonie. Les vieilles puissances n'ont plus la main sur les affaires du monde. On le voit notamment avec les États-Unis, qui ne gagnent plus les guerres et qui au contraire y laissent beaucoup de leur autorité et de leur crédibilité. Idem au niveau des puissances régionales. Celles du Nord, anciennes, ne parviennent plus à s'imposer dans leur zone d'influence. C'est le cas par exemple de la France en Afrique. Mais les nouvelles puissances régionales sont également mises en échec, comme l’Iran au Moyen-Orient. [...]
La « progression du néonationalisme », dont vous parlez dans votre livre, est-elle la conséquence de cette contestation de la domination partout dans le monde ?
Oui, le « néonationalisme » est la première réaction à la mise en échec de l'hégémonie. Si on n'adhère plus à l'hégémonie, si on la conteste, le repli nationaliste devient une conséquence immédiate. Nous avons vécu le temps de la bipolarité de la Guerre froide, au cours duquel l'hégémonie américaine était certes contestée, mais bénéficiait d'une adhésion forte car on croyait en sa capacité de protection face à la menace soviétique. Aujourd'hui, l'hégémonie américaine n'est plus crédible, et est même dénoncée. Tout ceci conduit, chez les contestataires, à un retour de l'adhésion au cadre national et à leurs repères identitaires. On voit ainsi monter un peu partout un nationalisme assez conservateur et un identitarisme, qui s'exprime de différentes manières, qui vont du retour du religieux à la méfiance à l'égard des étrangers et des migrants. On l'observe particulièrement aux États-Unis, qui ont porté la mondialisation autrefois, mais qui en deviennent aujourd'hui les principaux contestataires.
Justement, la position des États-Unis n’est-elle pas schizophrène, entre d’un côté le slogan « America first » de Donald Trump et l’implication de Washington dans la guerre contre Daesh ou dans la vie politique de certains pays (Bolivie, Hong Kong, Iran, Corée du Nord…) ?
Non, car la grande idée trumpienne est et demeure « America first ». Dans ce slogan, il y a plusieurs éléments. On a d'abord une composante strictement nationaliste, mais qui ne veut pas dire isolationniste. Deuxièmement, il y a l'idée que les États-Unis restent la nation supérieure aux autres, qu'ils conservent une vocation messianique d'ordonnancement du monde. Concrètement, cela implique que la mondialisation ne doit plus être considérée comme l'élément central de la politique étrangère américaine, mais doit être au contraire soumise à l'impératif nationaliste. Si la mondialisation peut servir les intérêts américains ou à la promotion de ses valeurs universalistes, on doit l'utiliser. Si elle contredit ses intérêts ou concrètement si elle coûte trop cher, il faut s'en retirer. Les États-Unis ont désormais une vision instrumentale de la mondialisation.
La Chine, qui prétend à une position de leader mondial, est-elle fragilisée par les crises internes (Hong Kong, Ouïghours) et le contexte international difficile (avec notamment la guerre commerciale l'opposant aux États-Unis) ?
Nous sommes dans une séquence historique où toute forme de domination est fragilisée. La domination chinoise est mise en échec, comme les dominations américaine, russe, iranienne au Moyen-Orient, etc. Mais la Chine n'est pas sur la même trajectoire que les États-Unis. Il y a eu assez tôt dans le pays un discours critique à l'égard de l'hégémonie américaine, qui dénonçait surtout son caractère irrationnel. Pour les dirigeants chinois, l'hégémonie pratiquée par les États-Unis est très coûteuse et finalement ne rapporte pas grand-chose. L'idée de la Chine est de promouvoir une autre forme de domination, davantage axée sur l'économique, qui laisse de côté l'aspect politique et veille à ne pas intervenir dans les conflits militaires extérieurs.
Questions
1. Présentez l’auteur et définissez l’intérêt de ce document.
2. Pourquoi peut-on parler de “crise de l’hégémonie” à l’échelle mondiale ?
3. Expliquez les causes de la contestation de la puissance américaine.
4. Comment la puissance des États-Unis évolue-t-elle sous la présidence de Donald Trump ?

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