Le Livre de Poche, un fringant septuagénaire
Isabelle Lesniak, Les Échos, 19 janvier 2023
Quand Henri Filipacchi, […], lance ce format en février 1953 […] il n'a pas peur de casser les codes. L'objet détonne par son prix - 2 francs, à peine plus que le tarif d'un journal, l'équivalent d'un ticket de métro - ses dimensions et sa présentation. […]
Si des livres de poche avaient déjà vu le jour […], Filipacchi a l'intuition géniale d'exploiter les progrès technologiques de l'après-guerre pour lancer sa révolution à très grande échelle. L'innovation tient plus à la forme qu'au fond. Les premiers titres sont en effet des valeurs sûres déjà consacrées et largement amorties […].
Filipacchi, […], met au service de ces grands textes littéraires, classiques comme modernes, des techniques d'impression et de diffusion qui étaient jusqu'alors l'apanage du roman populaire […]. Des machines importées d'Angleterre permettent de réaliser à bas prix un brochage très résistant tout en réduisant les coûts d'impression de 30 à 40 %.
Premier véritable réseau de distribution de masse, les fameuses messageries d'Hachette rebaptisées à la Libération (25 000 points de vente) propagent les ouvrages au-delà du cercle restreint des librairies traditionnelles, dans les enseignes que les Français fréquentent dans leur vie de tous les jours. Dans les supermarchés, ils sont exposés sur des tourniquets fournis par l'éditeur, sur lesquels le consommateur se sert lui-même, sans l'intervention d'un expert en littérature parfois intimidant.
Les couvertures colorées, parfois inspirées de la presse des faits divers, et les illustrations recto-verso sont conçues pour déclencher des achats d'impulsion favorisés par le coût modique du produit. […]
La recette heurte les puristes. Jean-Paul Sartre se demande si « les Livres de Poche sont de vrais livres ? » […]
L'innovation se révèle d'emblée redoutablement efficace, sans aucun besoin de publicité. […] Quinze ans après son lancement, le Livre de Poche se vend à 28 millions d'exemplaires, profitant de l'essor de la scolarisation et de l'engouement d'une nouvelle génération de lecteurs qui dépasse les étudiants sans le sou initialement visés par Filipacchi.
Jean Giono estime qu'il s'agit là du « plus puissant instrument de culture de la civilisation moderne » […]. Des lecteurs de milieux plus défavorisés peuvent désormais l'acheter pour leur plaisir ou celui de leurs proches. […]
Lorsqu'un grand format devient poche, il est systématiquement relu par les correcteurs de la maison qui traquent les coquilles passées inaperçues à la première publication. […]
Au-delà de ces simples rectifications, la reprise d'un grand format donne souvent lieu à une réflexion globale sur ce qui peut être optimisé pour toucher un public plus large. […]
Le calendrier de sortie est mûrement réfléchi pour capitaliser sur l'air du temps (l'engouement pour une série comme Lupin sur Netflix, une adaptation au cinéma, etc.), des couvertures attractives sont conçues par le studio de création interne, les titres sont parfois modifiés […].
Œuvrant pour la postérité, le Poche s'inscrit dans le temps long depuis soixante-dix ans et privilégie les valeurs sûres aux épiphénomènes à la mode dans son catalogue de 6 000 titres.
Questions
1. Comment Henri Filipacchi a-t-il fait rentrer l’édition dans le XXe siècle ?
2. À l’aide de vos connaissances et du document montrez que le Livre de Poche a contribué à la démocratisation de la lecture.
Pour aller plus loin…
Une vidéo de l’INA mettant en avant l’hostilité de certains à la démocratisation de la lecture : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i13043985/le-livre-de-poche-et-le-mepris

SES 1re
En savoir+Cet article peut venir enrichir le manuel de SES 1re :
• Chapitre 6 ("Comment la socialisation contribue-t-elle à expliquer les différences de comportement des individus ?")