Appelée par tous, élèves, professeurs, parents, force est de constater qu’avec une trentaine d’élèves en moyenne par classe, installer une véritable différenciation pédagogique au quotidien est un sacré défi, a fortiori quand l’hétérogénéité s’accroît en même temps que le principe d’inclusion, à juste titre, s’affirme. Le point ici sur une notion pas si simple, et sur des outils et des pratiques qui peuvent aisément être mises en œuvre.
Un problème définitionnel
L’expression « pédagogie différenciée » remonte à 1970 pour une généralisation de son emploi au début de la décennie suivante. Toutefois, elle souffre dans la discussion pédagogique de quelques confusions avec des termes qui semblent pouvoir nommer des modalités similaires, comme « individualisation ». D’où une première affirmation erronée, qui sert généralement de problématique de formation continue, « différencier revient à individualiser ». Autre difficulté : la notion de différenciation peut aussi être réduite à un modèle d’organisation traditionnel ou archaïque, le « groupe de niveau ». Le terme « différenciation » n’en constituerait qu’une désignation plus pédagogiquement correcte.
Pourtant, à y regarder de près, différencier ne revient pas à individualiser au sens strict et encore moins à rétablir des groupes de niveau.
Comment ça marche ?
La différenciation doit être fondée sur la réalité plurielle de la classe. Il ne s’agit donc pas de souscrire aux intentions pédagogistes de l’Institution, mais de s’appuyer sur une observation rigoureuse des compétences réelles des élèves au regard de celles qu’ils sont censés acquérir lors d’une séance. La conférence du CNESCO qui s’est tenue en mars 2017 pose très clairement les termes du débat. Elle établit, par exemple, que dans le cadre de la différenciation pédagogique l’évaluation par compétence peut s’avérer réellement pertinente. Une équipe de professeurs d’histoire-géographie mène dans ce sens une expérimentation dans l’académie de Rennes, à découvrir dans l’e-magazine Cabotage de l’Inspection pédagogique d’histoire géographie de l’académie de Rennes. Cette expérimentation les a conduits à élaborer une véritable méthode qui s’appuie, justement, sur une évaluation rigoureuse des compétences des élèves en amont de l’apprentissage, et qui prend la forme d’un fichier contenant des leçons et des exercices à géométrie variable. La différenciation vise en effet un même objectif pour tous les élèves, mais en s’autorisant à passer par des processus d’acquisition différents en fonctions des cas. On pourrait à tort objecter qu’il s’agit d’un détournement de groupe de niveau. Objection irrecevable si l’on tient compte du fait que rien n’est figé et définitif dans les groupes ciblés pas la différenciation.
Conscientiser et contractualiser le principe de différenciation
L’idée revient souvent que tout le monde pratique la différenciation sinon sans le savoir au moins de façon incidente. Quand survient un point de blocage, le professeur se verrait inopinément contraint à diversifier les parcours. Or, justement, impliquer la différenciation dans sa pédagogie présuppose d’en faire un élément structurant et non simplement aléatoire. Il n’y a pas de différenciation sans contractualisation, pas de différenciation sans définir non seulement des objectifs à atteindre mais aussi les différents moyens d’y parvenir. Prenons l’exemple de la lecture suivie d’une œuvre littéraire. Un professeur décide de faire lire Les Misérables à ses élèves, soit. Mais tous, seront-ils en mesure de lire in extenso le roman Victor Hugo ? Certains ne devront-ils pas se concentrer sur des passages déterminants en sautant des chapitres (en bénéficiant de résumés) ? Faut-il a priori condamner le recours à des éditions abrégées ? Une actu de la NRP fait le point sur les différentes collections abrégées. Pourquoi ne pas effectuer un pas de côté, en lisant par exemple un texte contemporain, pour ensuite revenir à une œuvre patrimoniale difficile ? On peut imaginer ce type de travail pour une lecture de Madame Bovary en parallèle avec celle d’un roman contemporain. Différencier revient ainsi à établir des contrats de travail et de réussite avec les élèves en fonction d’un objectif raisonnable que l’on a fixé avec eux. Ne pas envisager le problème en termes de différenciation revient à placer un voile entre la réalité des compétences de lecture et les objectifs que l’on pose comme universels à l’échelle du groupe classe. Et à la fin, plus personne ne lit Hugo autrement qu’en groupement de textes.
Et le numérique dans tout ça ?
L’apport du numérique constitue sans aucun doute un élément décisif afin de rendre la pédagogie différenciée plus opérationnelle et moins chronophage en termes de préparation.
Même s'il ne s'agit pas de "fétichiser" l'outil numérique, son exploitation peut permettre de faciliter le principe de différenciation.
C’est le cas d’abord avec des outils très simples, et désormais accessibles partout. Dans le cadre de la proposition d'une production écrite par exemple, l'idée est de différencier les modes de production et les modes de correction. On peut prévoir deux groupes s'engageant dans l'écriture. Le premier, classiquement partant de son brouillon pour mettre son texte au propre en le dactylographiant. Le second dictant oralement son texte par le biais de la fonction dictaphone.
Pour tout ce qui concerne l’apprentissage et la mémorisation, dans toutes les disciplines, les plateformes autocorrectives favorisent les parcours individualisés. Leur place et leur utilisation est encore restreinte, mais gageons qu’elles constitueront une part non négligeable des supports pédagogiques dans les années à venir.
Antony Soron, Maître de conférences HDR (Habilité à Diriger des Recherches), Formateur agrégé de lettres, INSPE Sorbonne Université