La différenciation : le retour d’expériences terrain

Source : Equipe éditoriale Nathan

Patrick Marques, professeur agrégé d’histoire-géographie en lycée et coordonnateur du groupe de réflexion Cabotage dans l’académie de Rennes.

Vous proposez une véritable méthode : comment s’est-elle construite ?

Elle est née sur le terrain et de nombreux retours d’expériences. Comme tous les professeurs, nous rencontrons très régulièrement des difficultés face à l’hétérogénéité croissante de nos classes. Nous étions parfois dans des impasses pédagogiques et didactiques que le déroulé « traditionnel » d’une séquence pédagogique en histoire géographie ne nous permettait pas de résoudre. Nous avons alors tenté avec le soutien de l’Inspection pédagogique de l'académie de Rennes et de l’Inspection générale d’histoire géographie d’organiser différemment nos séquences pour permettre tout à la fois la maitrise d’un socle commun pour les élèves les plus en difficultés, et l’approfondissement des compétences et des connaissances des élèves les plus en réussite.

Pourquoi un fichier avec des feuilles photocopiables était-il pour vous un bon outil de différenciation ?

L’ouvrage que nous proposons croise les avantages du manuel scolaire, du cahier d’activités parascolaire, mais présente surtout l’intérêt de se rapprocher des pratiques des enseignants, de leurs supports pédagogiques habituels sur lesquels l’élève travaille directement. Le fichier est conçu pour les enseignants et pour faciliter la mise en œuvre d’une véritable différenciation dans les dispositifs pédagogiques proposés. Le fichier couvre l’intégralité du programme d’histoire-géographie de la classe de 6e (cycle 3).

La notion de compétence est souvent vue un peu comme un gadget dont on ne sait pas toujours très bien quoi faire. Mais il semble que vous leur trouviez une utilité. Comment les intégrez-vous à votre méthode ?

L’intérêt de travailler par compétences a souvent été masqué par des débats sans fin sur la question de l’évaluation de la performance des élèves, incarnée dans le débat de société « faut-il encore des notes à l’école ? ». En réalité, les compétences sont fondamentales avant tout pour construire les situations d’apprentissages qui vont permettre aux élèves de progresser. Les compétences sont un outil professionnel pour les enseignants qui s’en servent pour élaborer des activités pédagogiques. Dans le fichier, l’évaluation formative des compétences est omniprésente. Elle permet aux élèves et à leur professeur de faire régulièrement un bilan de leur réussite, mais surtout d’obtenir des conseils pour progresser tout au long de la séquence et de comprendre ses erreurs. Nous aimons souvent dire aux élèves « qu’évaluer c’est apprendre ! ». Une évaluation-bilan vient clore la séquence de façon « traditionnelle » et certifier un niveau de maitrise de l’élève qu’on peut noter. Tout le travail par compétences a déjà été effectué, testé et consolidé en amont.

Comment articulez-vous différenciation et plan de travail ?

Le plan de travail est une modalité pédagogique parmi d’autres. C’est un temps spécifique pendant lequel les élèves sont en autonomie pour réaliser un certain nombre d’activités permettant d’approfondir des compétences et des contenus disciplinaires. Durant le plan de travail, l’autocorrection est préférée, même si le professeur aide cependant les élèves les plus fragiles à contrôler la validité de leurs réponses. Plusieurs variables sont actionnées pour proposer une différenciation dans un plan de travail : des supports documentaires variés, des formes de questionnement différentes, plusieurs types de productions finales, des étayages ou « coup de pouce » préparés en amont pour débloquer les élèves, etc. Dans ce sens, l’universitaire Alexia Forget nous explique que la différenciation pédagogique consiste à adapter les conditions d’enseignement afin que l’élève se retrouve le plus souvent possible face à une tâche qui soit source d’apprentissage.

Vos élèves savent-ils que leur parcours n’est pas le même que celui des autres ? comment réagissent-ils lorsque l’un d’eux s’aperçoit que son travail est plus « guidé », et peut-être plus facile que celui d’un autre ?

Oui bien sûr, ils le savent ! L’erreur à ne pas commettre serait d’essayer de le cacher. En formation continue, j’invite souvent les professeurs à réfléchir par analogie avec une station de sports d’hiver. Quand on travaille la compétence « descendre une pente enneigée de montagne », l’objectif du Socle commun imposé par la loi est qu’ils y arrivent tous en fin de cycle. Cependant si vous envoyez vos élèves en difficultés sur les pistes noires dès le début par ce que vous avez des ambitions très fortes pour vos meilleurs élèves, les plus faibles vont bloquer et n’apprendront rien. Inversement, en mettant tout le monde sur les pistes vertes, certains élèves vont réellement s’ennuyer. Une classe d’élève c’est une station de sport d’hiver, certains aiment les grandes descentes, d’autres dans les bosses, certains préfèrent descendre en skis, d’autres en surf. Certains ont besoin d’un moniteur, d’autres n’ont plus besoin d’étayage. Les élèves n’ont pas de honte à évoluer sur des pistes différentes, bien au contraire, ils sont valorisés par leurs progrès individuels et puis ils apprennent tous à descendre des pentes enneigées avec plus ou moins de maitrise au final de la compétence.

Dans vos cours, au quotidien, parvenez-vous à faire systématiquement de la différenciation ?

Les leviers à actionner sont nombreux pour mettre en œuvre une différenciation dans ses cours. Le professeur peut différencier les contenus, varier les organisations sociales d’apprentissage (travail individuel, groupes de projet, groupes de besoins, etc.), diversifier les productions d’élèves (écrits, oraux, productions graphiques, etc.) et enfin les processus d’apprentissage pour varier les façons dont l’élève s’approprie les connaissances et les capacités enseignées (temps d’apprentissage, démarches didactiques, stratégies d’enseignement). Pour répondre à votre question, en définitive, beaucoup de professeurs au quotidien font de la différenciation, parfois on ne s’en rend plus compte, dès lors qu’ils diversifient régulièrement leurs pratiques d’enseignement.

Ou s’arrête la différenciation ?

C’est une question importante tant il existe un réel danger de confondre différenciation et individualisation. La différenciation ne consiste pas à prendre en compte tous les besoins spécifiques et individuels de chacun de nos élèves. C’est impossible ! L’explosion des demandes de personnalisation via par les Plans d'Accompagnement Personnalisé (PAP), Projet d'Accueil Individualisé (PAI) nous montre combien ce travail est trop lourd à mener seul dans le cadre de sa classe. Pour reprendre l’analogie avec la station de sport d’hiver, l’individualisation reviendrait à ouvrir et entretenir une piste de ski par élève…

Pouvez-vous, globalement, dresser un bilan, pour cette année par exemple, de ce que vous avez mis en œuvre afin d’offrir des parcours différenciés ?

Sans démagogie, c’est un bilan très positif. Les auteurs du Fichier qui travaillent de cette manière depuis plusieurs années maintenant sont incapables de revenir en arrière. Les professeurs qui ont pu découvrir cette méthode en formation continue ont très vite adhéré à la logique. Il est vrai que cette méthode pensée pour l’histoire géographie ambitionne de synthétiser, d’englober de nombreux horizons didactiques sans être clivante. Les retours d’élèves sont aussi très bons. Ils s’investissent, apprécient la variété des situations pédagogiques, et progressent finalement puisque les objectifs d’apprentissage sont plus adaptés. Actuellement je développe les mêmes méthodes dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme du lycée. Les enjeux y sont considérables pour l’enseignement d’histoire géographie désormais enseigné en tronc commun. Avec la disparition des filières au profit des enseignements de spécialité, le groupe classe est désormais très hétérogène jusqu’en Terminale.

 

À découvrir des thèmes complets des ouvrages Itinéraires … à la carte
Histoire-Géographie 6e et 5e – Nathan dirigés par Patrick Marques disponibles sur Collège - Histoire-Géographie | Nathan