Les dernières réformes du collège et plus encore celle du lycée donnent une place centrale à l’oral et à son apprentissage. En témoignent les 15% que représente le Grand Oral lors des épreuves finales du baccalauréat. Or traditionnellement, l’oral était pensé non comme une fin mais comme un moyen, une des étapes possibles vers la maîtrise de l’écrit, comme si les compétences orales allaient de soi et n’exigeaient aucun apprentissage spécifique.
L’oral, un objet scolaire nouveau
Pourtant, de nombreuses études comme celle proposée par Cyril Delhay montrent que la maîtrise de l’oral est un instrument de pouvoir et un élément discriminatoire. C’est un marqueur social puissant, et le lien entre les difficultés langagières et les difficultés scolaires se tisse dès les premiers apprentissages.
Dès lors, il convient d’admettre que « l’oral, ça s’apprend aussi !" Sylvie Plane, chercheuse et vice-présidente du Conseil National des Programmes, insiste sur la nécessité de tenir compte des spécificités de l’oral et de ne pas lui imposer les normes de l’écrit. https://nrp-lycee.nathan.fr/sequences/une-parole-incarnee-exister-et-agir-par-le-discours/
L’enjeu est tel que les médias s’emparent également de cette question dans des dossiers dédiés ou lors d’émissions. Importées des Etats-Unis, de nombreuses conférences TED ‒ ces discours brefs, souvent très efficaces ‒, sont consacrées à la prise de parole, de même que des ressources pédagogiques – Exemples Nathan :
- Exercices de prise de parole en HGGSP
- Mission grand oral, le site de ressources actualisées pour les lycéens avec des tutos techniques « la prise de parole » : https://mission-grand-oral.nathan.fr
Comment accompagner les élèves dans la prise de parole ?
L’oral est autant un outil qu’un objet d’apprentissage :
- Outil car il permet de développer la pensée et d’ancrer des connaissances. C’est ce que démontre le cône d’apprentissage, dit cône de Dale qui établit un lien entre restitution orale et acquisition des savoirs sur le long terme. En ce sens, la pratique de l’exposé, le compte rendu oral d’un travail de groupe ou les débats qui sont autant de pratiques courantes dans les collèges et lycée ont un intérêt qui dépasse le partage de connaissance et favorise leur ancrage.
- Objet, l’oral est désormais au centre d’activités d’apprentissage et fait l’objet d’une remédiation à la fois sur le fond et sur la forme.
- Les programmes invitent à privilégier des situations strictement consacrées à l’oral dans toutes ses dimensions. L’enseignement ne peut alors prendre seulement la forme de cours « classiques » sur l’oral, même si le passage par l’étude théorique des techniques oratoires ou la confrontation aux grands textes, à l’analyse de représentations théâtrales ou cinématographiques sont utiles. Le numéro de janvier 2019 intitulé La parole incarnée de la NRP s’en fait l’écho.
- Accompagner les élèves dans la prise de parole, c’est aussi la maîtrise des ressources physiques : une prise de parole debout, sans lire, qui engage le corps (la voix, les gestes, le positionnement, la respiration, le débit). Au-delà de la compétence scolaire, c’est aussi la construction de compétences sociales qui est en jeu. Le dernier rapport du Conseil de l’Innovation pour la Réussite Educative souligne l’importance de cette maîtrise orale dans la vie sociale et professionnelle.
Un apprentissage tout au long de la scolarité
- Désormais, préparer l’oral du brevet au collège, organiser des débats en EMC ou des debating en langue, animer des ateliers philos à l’image des Petits Platons, créer une web radio ou monter une classe à projet éloquence sont autant d’initiatives qui se multiplient au sein des établissements scolaires.
- C’est un apprentissage qui s’inscrit dans le temps long : dès la maternelle, la pratique est encouragée dans des moments dédiés comme les causeries durant lesquelles un enfant est amené à présenter un sujet qui lui tient à cœur ou lors des ateliers Petits philosophes. Elle se poursuit au collège puis au lycée. C’est dans doute la raison pour laquelle l’offre de formations à destination des enseignants se diversifie (cf. le séminaire sur la prise de parole au lycée)
Les médias au cœur de la pratique de l’oral
- Recourir à l’outil « média » offre un biais intéressant. Ainsi la réalisation d’une web radio permet d’allier pratiques de l’oral, maîtrise de l’écrit, techniques de création, de production et diffusion en ligne. La Clemi accompagne depuis de nombreuses années les professeurs qui s’engagent dans cette voie, à l’aide d’outils simples et rapides. Parler à la radio , c’est le moyen d’apprendre à adapter un texte pour l’oral, à poser sa voix, à gérer l’intonation et jouer avec l’auditoire, etc. Et cela fonctionne aussi bien avec les sciences comme le montre l’expérimentation du lycée Perthuis Val Durance intitulée C’est pas compliqué.
- La réalisation de reportages radiophoniques avec des professionnels se développe. Durant l'année scolaire, des équipes de France Inter vont à la rencontre de collégiens et lycéens d'établissements scolaires. L’objectif est de travailler ensemble afin produire des reportages diffusés le dimanche à la radio dans l’émission Interclass+ Interview « projet de classes » sur la gènese du projet – NRP Collège mars 2015
Eloquence : du théâtre aux prétoires
- Enfin, nombreux concours mobilisent des élèves regroupés en ateliers ou dans classes à projet. Mis en lumière par le documentaire A voix haute, la force de la parole de Stéphane de Freitas et Ladj Ly, l’éloquence est devenue un outil privilégié et transdisciplinaire pour aider les élèves à prendre la parole et à se confronter à d’autres participants venus d’horizons divers. « L’éloquence est un sésame » pour cette professeure de lettres qui enseigne en collège Rep+ et s’émerveille du chemin parcouru par ses élèves.
Le travail, mené en classe, est encadré le plus souvent par des enseignants volontaires qui peuvent avoir recours régulièrement ou ponctuellement à des professionnels principalement issus du monde du théâtre. Les exercices sont variés et visent à susciter l’intérêt des élèves.
La pratique connaît un tel succès que Bertrand Perrier, remarqué pour son ouvrage La parole est un sport de combat a conçu la boite Eloquence, jeu de défis classés en six catégories (Pour ou contre, Plaidoirie, Sous contrainte ou Sans Parole par exemple) qui permettent de s’exercer en s’amusant et vaincre les inhibitions liées à la prise de parole à un âge où le regard de l’autre compte particulièrement.
- Certains enseignants ont également importé et adapté Ma thèse en 180 secondes. A l’origine, chaque doctorant ou doctorante doit réaliser, en trois minutes, un exposé clair, concis et convaincant sur son projet de recherche avec l’appui d’une seule diapositive ! C’est ainsi que des élèves issus de trois classes de 3e du collège Jean Zay de Verneuil-sur Seine, encadrés par une enseignante de lettre et une enseignante d’histoire-géographie ont participé au concours organisé par le Mémorial de Caen : « 180 secondes pour les droits de l’homme » déclinaison du projet initial dans le supérieur. Le mémorial invite à prononcer un discours pour dénoncer le non-respect d’un droit dans le monde. Le concours est désormais ouvert à tous les élèves francophones.
En dehors des concours et projets mis sous le feu des projecteurs, les enseignants se sont emparés, au quotidien, de cet enjeu majeur. Le Grand Oral sera le moyen de reconnaître et d’analyser les initiatives de terrain.